Les Racines de la Diaspora - Gorée, les esclaves y pleurent encore.

 

Un Afro-Américain s’installe dans un quartier pauvre de Dakar, loin des résidences sécurisées de la ville, et suscite la curiosité des habitants dont la plupart des jeunes travaillent sur les chantiers de construction avec l’espoir de trouver les moyens pour partir en Europe ou en Amérique. Comment se fait-il qu’un Américain vient vivre là, dans une maison sans luxe de Ouakam ? Dans les discussions, il se trouve toujours quelqu’un qui affirme, en secouant l’index comme un appel à la méfiance, que cet homme est un agent secret venu se fondre dans la population pour glaner des informations sur les projets cachés de la Chine en Afrique. Les Chinois sont en train de devenir les maîtres du continent, on le sait ; mais il paraît qu’ils ont d’autres idées derrière la tête pour accroître leur hégémonie et dominer le monde. C’est donc logique que les Américains envoient des agents secrets noirs pour espionner les Chinois en Afrique. Ainsi pensent-ils jusqu’à ce qu’ils découvrent les raisons ayant poussé cet Américain à venir s’installer sur cette terre.

Une histoire qui provoque d’abord une effervescence dans les têtes, puis la surprise et enfin la tristesse… 

--> Accéder au livre : Les racines de la diaspora.


EXTRAIT 

Seuls ceux qui connaissent les réalités de nos terres, comprennent pourquoi il nous arrive de rêver ainsi. Nous rêvons parfois d’être Afro-Américains, ou Antillais, malgré le mal-être d’une partie de cette diaspora dont les clameurs nous parviennent de plus en plus. Les mouvements suscités par la discrimination dont souffrent certains là où ils vivent, nous condamnent maintenant à avoir honte de nos rêves ; et nous n’osons plus avouer que quelquefois nous aurions aimé être à leur place ou avoir leur vie, préférant même leurs souffrances aux nôtres.

Il arrive cependant que certaines histoires racontées dans des livres nous libèrent un peu de cette honte et nous soufflent les mots pour exprimer les réalités que nous avons du mal à nommer pour faire comprendre nos rêves.

Pendant plusieurs jours, je suis retourné sur la même page d’un livre pour en lire quelques extraits : 

Il avait vingt-cinq ans lorsqu’il quitta son pays. Le jour de son départ, sa mère, souffrante, était allongée dans la petite chambre, la seule qui avait encore un toit étanche pour la protéger de la pluie. Quelques tiges de bambou plantées dans un vase en terre cuite posé à côté d’elle, lui tenaient compagnie pour lui porter bonheur et l’aider à guérir.

Dehors, sa fiancée l’attendait pour l’accompagner jusqu’à la gare. Elle retenait ses larmes pour ne pas pleurer devant le jeune homme qui partait gagner sa vie au-delà de la mer. Là-bas, il y aurait du travail pour tout le monde, il pourrait envoyer de l’argent pour soigner sa mère, et il reviendrait l’épouser.

Mais revenir n’est jamais facile lorsqu’on voyage au-delà de la mer…

Au moment où il revint enfin dans cette maison où il est né à Ouakam, trente ans plus tard, la petite chambre n’avait plus de toit. Dans la cour, il y avait quelques poules, un chien qui aboyait en l’apercevant, et une femme âgée qui l’attendait. Elle retenait ses larmes pour ne pas pleurer devant cet homme revenu d’un très long voyage. L’histoire ne dit pas qui était cette femme.  

Chaque fois que je lis ce récit qui ressemble au conte de l’absence de Jammes, l’émotion m’étreint un long moment, et je me revois à Ouakam où j’ai vécu aussi dans l’attente d’une issue pour partir avec mes amis. Puis mon esprit se fige sur une silhouette, celle d’un Afro-Américain dont l’arrivée dans cette banlieue de Dakar provoqua d’abord une effervescence dans nos têtes, ensuite la surprise, et enfin la tristesse. 

Le visage de cet homme m’est revenu suite aux dernières manifestations contre le racisme en Amérique et en Europe ; et je me souviens de tout maintenant. Je me revois là-bas à Ouakam comme si j’y vivais encore. Je me souviens de toute notre histoire à présent. 

 

 

1.

 Un garçon surgit en courant et nous informe que l’étranger arrive. Le jeu s’arrête, les causeries s’estompent, et les regards se lèvent vers la route. Ce n’est pas une blague, l’Américain arrive.

« Ne le regardez pas comme ça ! » dit quelqu’un parmi nous. Et nous baissons les yeux sur nos cartes, faisant semblant de jouer, sérieusement, même si l’homme qui arrive nous intrigue irrésistiblement.  

Le bruit court depuis quelques jours qu’un Afro-Américain s’est installé dans une maison près de l’étang où croupissent les eaux qui ruissellent dans le quartier pendant la saison des pluies. Ceux qui l’ont déjà aperçu, disent qu’il ressemble à un joueur de football qu’on voit à la télé. Et nous le surnommons Le footballeur chaque fois que nous parlons de lui, cherchant à comprendre pourquoi un Américain est venu vivre à Ouakam Cité-Avion, ce bidonville jouxtant l’aéroport où il faut beaucoup de temps pour s’habituer aux bruits assourdissants des avions qui descendent vers la piste d’atterrissage en rasant les toits des maisons.

Lorsqu’on cause de tout et de rien dans une maison ou sous un arbre, buvant du thé ou jouant aux cartes, il arrive toujours que quelqu’un interpelle les autres pour en savoir davantage sur l’étranger. Comment se fait-il qu’il est venu s’installer ici, loin des cités cossues de Dakar ? Il aurait quand même pu louer une maison dans un de ces quartiers où l’on perçoit des silhouettes du bonheur, ces résidences inaccessibles à nous autres qui vendons notre force de travail sur les chantiers de construction pour gagner quelques francs par jour, et qui rêvons de trouver une opportunité pour aller travailler dans son pays.

 

(FIN DE L’EXTRAIT)

 -->Accéder au livre : Les racines de la diaspora.

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

La révolution des indignés (ou Lettre à un jeune Français issu de l'immigration)

Mœurs et intelligence des fourmis